n° 16 - Dialogues équestres : mettre en scène la parole savante
Cette semaine, découvrez quelques dialogues issus d’écrits équestres qui mettent en scène la parole du maître d'équitation.
13/01/2021
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13/01/2021
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À l'aube du XVIIe s. un nouveau genre littéraire émerge, celui dits des dialogues philosophiques qui connaît un essor au XVIIIe s. Les œuvres de ce genre sont construites comme des échanges didactiques ou bien elles intègrent des passages dialogués. Elles sont le reflet d'une époque où la population savante et aisée se retrouve, dans les salons et plus tard dans les clubs et cafés, pour discuter et débattre. Si les œuvres les plus connues sont celles d'un Voltaire ou d'un Diderot, il existe quelques exemples dans la littérature équestre. Certains écuyers ont, semble-t-il, été inspirés par ce genre littéraire permettant de mettre en scène une transmission et une réflexion des savoirs.
Antoine de Pluvinel est l'un de ceux-ci, son livre Le Maneige royal ou l'Instruction du Roy en l'exercice de monter cheval (1623-1625) est écrit comme un dialogue. L'action se déroule dans un manège et cinq personnages sont présents : le jeune souverain Louis XIII, l’écuyer Pluvinel, Messieurs Le Grand et de Termes qui prennent ponctuellement la parole et Bonite, cheval éduqué par Pluvinel et considéré comme la monture la mieux dressée d'Europe. Le texte se présente comme les premières leçons équestres que le jeune roi prend auprès de Pluvinel.
Un extrait ci-dessous en vieux français (1625, pp. 8-9) :

Deux siècles plus tard, l’écuyer François Baucher reprend la formule mais dans une tonalité nettement plus amusée. Dans les Dialogues sur l'équitation : entre le grand Hippo-théo, dieu des quadrupèdes, un cavalier et son cheval (1859), le dieu Hippo-théo arrange une discussion entre un cavalier et son cheval (qu'il dote de parole pour l'occasion). Le cavalier, de mauvaise foi et de peu de savoir, rejette l'ensemble des fautes sur son cheval. Il finira par se remettre en question sous le patronage du dieu. Ce premier dialogue écrit avec Jules Pellier et paru en 1834, n'est pas sans faire penser à la rencontre avec les chevaux parlants - Houyhnhnms - dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Deux autres dialogues suivront dans la production de Baucher : « Dialogue entre la main et les jambes », « Dialogue entre le cheval et la mâchoire ». Les trois dialogues sont disponibles dans la douzième et dernière version de ses Œuvres complètes (1864).
Un extrait de dialogue entre la main et les jambes (Œuvres complètes, 1964, pp. 216-217) :
Au même siècle, d’autres auteurs mettent à profit ces dialogues dans une formule moins attrayante : le questionnaire. Présent chez Lancosme-Brèves comme un outil d’instruction dans son Guide l’ami du cheval ou encore chez Gerhart dans Réminiscences hippiques et équestres d'un vieux dresseur : monographie de l'action équestre sous forme de questionnaire, ces catalogues de questions-réponses, parfois indigestes, semblent s’inscrire dans une pédagogie militaire qui tente de se renouveler. Il en découle un certain « bovarysme réglementaire » selon l’expression d’Yves Grange qui fait référence à Emma Bovary, la célèbre héroïne éponyme de Flaubert qui, insatisfaite de sa vie, se rêve autre notamment au travers de ses lectures. Ces questionnaires tendent en effet à conduire vers des récitations par cœur qui ne favorisent pas la compréhension et la réflexion chez l’élève.

L’importance du dialogue entre l’enseignant et son élève a fait l’objet de travaux depuis. L’apprenant est maintenant considéré comme une personne active dans son apprentissage et non plus un réceptacle qu’il faut remplir de savoirs. Ce point a notamment intéressé l’écuyer du Cadre noir Nicolas Sanson dans son livre 36 exercices de pédagogie (Belin, 2016). Celui-ci souhaite que l’enseignant donne la parole, pose de vraies questions et soigne son langage. C'est désormais le dialogue des savoirs que l'on questionne.
Extrait de l’exercice n° 10 : Transformez vos questions fermées en questions ouvertes de l’ouvrage de Nicolas Sanson (p. 27)
Pour aller plus loin :
- L'Instruction du Roy en l'exercice de monter à cheval, par messire Antoine de Pluvinel,... Enrichy de grandes figures en taille-douce... desseignées et gravées par Crispian de Pas le jeune et la contribution de Menou de Charnizay, Paris : M. Nivelle, 1625. En ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1512330f
- Lancosme-Brèves, Guide de l'ami du cheval : revue scientifique, historique et pratique, Paris : Mme Bouchard-Huzard, 1855, deux tomes. En ligne sur Gallica : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb313055358
- François Baucher, OEuvres complètes, Paris : Dentu, 1864. En ligne sur le Portail documentaire de l'IFCE : https://mediatheque.ifce.fr/index.php?lvl=notice_display&id=2098
- Blacque-Belair, Réponses au questionnaire d'équitation de l'École d'application de cavalerie, Saumur : Milon, 1886. En ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65252718
- Adolphe Gerhard, Réminiscences hippiques et équestres d'un vieux dresseur : monographie de l'action équestre sous forme de questionnaire, Saumur : JB Robert, 1906. En ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6525272p
- Nicolas Sanson, 36 exercices de pédagogie, Paris : Belin, 2016.
- Yves Grange, "II. 1 Le bovarysme réglementaire" dans Le Cheval oublié Thèse d'histoire (Deuxième partie Le Corps social, chapitre IX La Guerre de Masse et la centaurisation). En ligne : https://grange.pagesperso-orange.fr/chevaloublie/tablematieres/chapitres/chapitre9.htm#part921
Image en Une : Dialogues sur l'équitation : premier dialogue entre le grand Hippo-Théo, dieu des quadrupèdes, un cavalier et un cheval par MM. Baucher et Pellier, 1835. Source : Galica/BnF
Antoine de Pluvinel est l'un de ceux-ci, son livre Le Maneige royal ou l'Instruction du Roy en l'exercice de monter cheval (1623-1625) est écrit comme un dialogue. L'action se déroule dans un manège et cinq personnages sont présents : le jeune souverain Louis XIII, l’écuyer Pluvinel, Messieurs Le Grand et de Termes qui prennent ponctuellement la parole et Bonite, cheval éduqué par Pluvinel et considéré comme la monture la mieux dressée d'Europe. Le texte se présente comme les premières leçons équestres que le jeune roi prend auprès de Pluvinel.
Un extrait ci-dessous en vieux français (1625, pp. 8-9) :
LE ROY Venons à l’instruction de vostre Escollier. Que desirez-vous premierement de luy.
PLUVINEL Qu’il soit bel homme de cheval
LE ROY Quelle difference faistes-vous d’un bel homme de cheval à un bon homme de cheval ?
PLUVINEL Je la fais tres-grande (SIRE) car encores qu’il soit bien mal-aisé d’estre bon homme de cheval, sans estre bel homme à cheval : neantmoins on peut estre bel homme à cheval, sans estre bon homme de cheval : d’autant qu’il suffit d’estre bien placé sur le cheval depuis la teste jusques aux pieds, pour se faire dire bel homme de cheval, & celuy qu’on aura veu en ceste posture cheminant seullement au pas, se pourra dire beau, & s’il a assez de fermesse pour souffrir un plue rude maniement en gardant sa belle posture, il acquierra tou[j]ours reputation de hõme de cheval, quand mesmes le cheval ne feroit rien qui vaille, quoy que bien dressé
PLUVINEL Qu’il soit bel homme de cheval
LE ROY Quelle difference faistes-vous d’un bel homme de cheval à un bon homme de cheval ?
PLUVINEL Je la fais tres-grande (SIRE) car encores qu’il soit bien mal-aisé d’estre bon homme de cheval, sans estre bel homme à cheval : neantmoins on peut estre bel homme à cheval, sans estre bon homme de cheval : d’autant qu’il suffit d’estre bien placé sur le cheval depuis la teste jusques aux pieds, pour se faire dire bel homme de cheval, & celuy qu’on aura veu en ceste posture cheminant seullement au pas, se pourra dire beau, & s’il a assez de fermesse pour souffrir un plue rude maniement en gardant sa belle posture, il acquierra tou[j]ours reputation de hõme de cheval, quand mesmes le cheval ne feroit rien qui vaille, quoy que bien dressé
Antoine de Pluvinel, L'Instruction du Roy en l'exercice de monter cheval, 1625, p.2bis. Source : Galica/BnF
Deux siècles plus tard, l’écuyer François Baucher reprend la formule mais dans une tonalité nettement plus amusée. Dans les Dialogues sur l'équitation : entre le grand Hippo-théo, dieu des quadrupèdes, un cavalier et son cheval (1859), le dieu Hippo-théo arrange une discussion entre un cavalier et son cheval (qu'il dote de parole pour l'occasion). Le cavalier, de mauvaise foi et de peu de savoir, rejette l'ensemble des fautes sur son cheval. Il finira par se remettre en question sous le patronage du dieu. Ce premier dialogue écrit avec Jules Pellier et paru en 1834, n'est pas sans faire penser à la rencontre avec les chevaux parlants - Houyhnhnms - dans Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. Deux autres dialogues suivront dans la production de Baucher : « Dialogue entre la main et les jambes », « Dialogue entre le cheval et la mâchoire ». Les trois dialogues sont disponibles dans la douzième et dernière version de ses Œuvres complètes (1864).
Un extrait de dialogue entre la main et les jambes (Œuvres complètes, 1964, pp. 216-217) :
LA MAIN. Quel est notre but ? Parfaire l'éducation du cheval, quelle que soit sa conformation. Que nous faut-il pour réussir ? L'action et la position. Vous donnez la première, mais c'est moi qui donne la seconde.
LES JAMBES. Très-bien. Mais devons-nous prendre l'initiative, ou devons-nous agir simultanément ? N'existe-t-il pas des cas où nous devons vous attendre ? Veuillez nous éclairer. Nous vous écoutons, en nous réservant le droit de répliquer.
LA MAIN. Le cheval a aussi son initiative. – Il peut être froid ou ardent, rester dans les jambes ou se porter sur la main. Notre rôle doit donc être tantôt passif, tantôt actif. A défaut d'érudition, prenons conseil de notre sentiment, et nous commettrons moins d'erreurs. N'oublions jamais que le cheval doué d'intelligence veut bien mettre ses précieuses qualités au service de l'homme, à condition que celui-ci en usera avec tact et discrétion.
LES JAMBES. Dans ce cas, nous devons partager le blâme et l'éloge ; si le tact nous manque, tout raisonnement devient impossible, et nous aurons la bouche close ; mais si, possédant ce tact précieux que nous appellerons le sixième sens, nous sommes capables d'appréciation et de discernement, le raisonnement donnera un corps à cette intuition que l'on nomme sentiment.
LES JAMBES. Très-bien. Mais devons-nous prendre l'initiative, ou devons-nous agir simultanément ? N'existe-t-il pas des cas où nous devons vous attendre ? Veuillez nous éclairer. Nous vous écoutons, en nous réservant le droit de répliquer.
LA MAIN. Le cheval a aussi son initiative. – Il peut être froid ou ardent, rester dans les jambes ou se porter sur la main. Notre rôle doit donc être tantôt passif, tantôt actif. A défaut d'érudition, prenons conseil de notre sentiment, et nous commettrons moins d'erreurs. N'oublions jamais que le cheval doué d'intelligence veut bien mettre ses précieuses qualités au service de l'homme, à condition que celui-ci en usera avec tact et discrétion.
LES JAMBES. Dans ce cas, nous devons partager le blâme et l'éloge ; si le tact nous manque, tout raisonnement devient impossible, et nous aurons la bouche close ; mais si, possédant ce tact précieux que nous appellerons le sixième sens, nous sommes capables d'appréciation et de discernement, le raisonnement donnera un corps à cette intuition que l'on nomme sentiment.
Guide de l'ami du cheval : revue scientifique, historique et pratique par le Cte Savary de Lancosme-Brèves, Paris : Mme Bouchard-Huzard, 1855, tome 1, p. 200. Source : Galica/BnF
L’importance du dialogue entre l’enseignant et son élève a fait l’objet de travaux depuis. L’apprenant est maintenant considéré comme une personne active dans son apprentissage et non plus un réceptacle qu’il faut remplir de savoirs. Ce point a notamment intéressé l’écuyer du Cadre noir Nicolas Sanson dans son livre 36 exercices de pédagogie (Belin, 2016). Celui-ci souhaite que l’enseignant donne la parole, pose de vraies questions et soigne son langage. C'est désormais le dialogue des savoirs que l'on questionne.
Extrait de l’exercice n° 10 : Transformez vos questions fermées en questions ouvertes de l’ouvrage de Nicolas Sanson (p. 27)
« As-tu utilisé ta rêne intérieure correctement ? »
« Est-ce que tu as mis tes jambes ? »
Si ce n'est pas le cas, vous avez « soufflé » un élément d’information, vous avez montré à quoi vous vous intéressez et la réponse positive ne sera pas fiable. Et que ce soit « oui » ou « non », vous ne saurez pas comment la personne a procédé
- Si c’est « non » : vous ne savez rien, il faudra inventer une nouvelle question.
- Si c’est « oui » : vous savez peu (en tout cas pas ce que la personne fait, ni quand elle le fait de cette manière) et vous n’êtes même pas sûr qu’elle le fait.
« Est-ce que tu as mis tes jambes ? »
Si ce n'est pas le cas, vous avez « soufflé » un élément d’information, vous avez montré à quoi vous vous intéressez et la réponse positive ne sera pas fiable. Et que ce soit « oui » ou « non », vous ne saurez pas comment la personne a procédé
- Si c’est « non » : vous ne savez rien, il faudra inventer une nouvelle question.
- Si c’est « oui » : vous savez peu (en tout cas pas ce que la personne fait, ni quand elle le fait de cette manière) et vous n’êtes même pas sûr qu’elle le fait.
Pour aller plus loin :
- L'Instruction du Roy en l'exercice de monter à cheval, par messire Antoine de Pluvinel,... Enrichy de grandes figures en taille-douce... desseignées et gravées par Crispian de Pas le jeune et la contribution de Menou de Charnizay, Paris : M. Nivelle, 1625. En ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1512330f
- Lancosme-Brèves, Guide de l'ami du cheval : revue scientifique, historique et pratique, Paris : Mme Bouchard-Huzard, 1855, deux tomes. En ligne sur Gallica : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb313055358
- François Baucher, OEuvres complètes, Paris : Dentu, 1864. En ligne sur le Portail documentaire de l'IFCE : https://mediatheque.ifce.fr/index.php?lvl=notice_display&id=2098
- Blacque-Belair, Réponses au questionnaire d'équitation de l'École d'application de cavalerie, Saumur : Milon, 1886. En ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65252718
- Adolphe Gerhard, Réminiscences hippiques et équestres d'un vieux dresseur : monographie de l'action équestre sous forme de questionnaire, Saumur : JB Robert, 1906. En ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6525272p
- Nicolas Sanson, 36 exercices de pédagogie, Paris : Belin, 2016.
- Yves Grange, "II. 1 Le bovarysme réglementaire" dans Le Cheval oublié Thèse d'histoire (Deuxième partie Le Corps social, chapitre IX La Guerre de Masse et la centaurisation). En ligne : https://grange.pagesperso-orange.fr/chevaloublie/tablematieres/chapitres/chapitre9.htm#part921
Image en Une : Dialogues sur l'équitation : premier dialogue entre le grand Hippo-Théo, dieu des quadrupèdes, un cavalier et un cheval par MM. Baucher et Pellier, 1835. Source : Galica/BnF