n° 22 - Discours d'écuyers : le tact

Cette semaine, partez à la découverte de phrases méconnues d'écuyers à la tunique noire.
Si certaines des formules des écuyers du Cadre noir de Saumur sont devenues presque proverbiales, d’autres énoncés méritent aussi notre intérêt et notre attention. Cette troisième sélection se consacre au tact de l'écuyer du XIXe au XXIe s.
20/04/2021
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Si certaines des formules des écuyers du Cadre noir de Saumur sont devenues presque proverbiales, d’autres énoncés méritent aussi notre intérêt et notre attention. Cette troisième sélection se consacre au tact de l'écuyer du XIXe au XXIe s.
20/04/2021
Dans le langage courant, le tact désigne habituellement la capacité rapide et intuitive d’apprécier une personne ou une situation et d'agir en fonction (faire preuve de tact notamment). Ce que l’on sait moins c’est qu’il désignait à l’origine le sens du toucher.
Dans le monde équestre, le tact est fréquemment présenté comme une qualité essentielle pour devenir un bon cavalier, c'est le "sentiment du cheval". Il reste néanmoins peu aisé à ressentir mais aussi à transmettre. Nous verrons que ce que recouvre cette notion s’est peu à peu élargie au cours des siècles dans les écrits des écuyers du Cadre noir évoluant du tactile vers un état d’esprit, à l’instar de son acception dans le langage courant.
Au XXe s., le Commandant Aublet, écuyer en chef de 1941 à 1943, dans un écrit destiné cette fois-ci au grand public, L’équitation publiée dans la collection Que sais-je ?, s’attache lui aussi à définir cette notion de tact. Celle-ci n’est plus restreinte à la main seule. Il s’agit du « tact équestre » dont doivent faire preuve toutes les aides du cavalier. On voit cependant poindre l’idée d’une capacité d’appréciation chez le cavalier qui doit développer une aptitude à se juger :
Enfin, au XXIe s., le Général Pierre Durand, écuyer en chef de 1975 à 1984, consacre une sous-partie nommée « le tact équestre » au sein de son livre L’équitation française. Son écrit reprend l’idée d’un tact des aides mais qui s’applique finalement à l’ensemble des interactions du cavalier avec son cheval. Le tact devient un état d’esprit, une qualité qui aiguille le cavalier dans son travail de dressage, de la conception à l’expérience tactile :
Pour aller plus loin :
- Vital Lepouriel, Procédés pour développer le tact équestre, Vigot, 2005.
- Marion Scali, Baucher : le tact, la recherche et l'orgueil, Belin, 2002.
- Jean-Baptiste Cordier, Traité raisonné d’équitation en harmonie avec l’ordonnance de cavalerie, 1824. Disponible en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6535043j/f105.item
- Général Pierre Durand, L’équitation française : mon choix de cœur et de raison, Actes sud, 2008.
Image en Une : Ecuyer et sauteur du Cadre noir © Alain Laurioux / IFCE
Dans le monde équestre, le tact est fréquemment présenté comme une qualité essentielle pour devenir un bon cavalier, c'est le "sentiment du cheval". Il reste néanmoins peu aisé à ressentir mais aussi à transmettre. Nous verrons que ce que recouvre cette notion s’est peu à peu élargie au cours des siècles dans les écrits des écuyers du Cadre noir évoluant du tactile vers un état d’esprit, à l’instar de son acception dans le langage courant.
Au XIXe s., Jean-Baptiste Cordier, écuyer-instructeur commandant le Manège de l’Ecole royale de cavalerie de Saumur (statut désignant l’écuyer en chef de l’époque) de 1825 à 1833, en fait mention dans son Traité raisonné d’équitation en harmonie avec l’ordonnance de cavalerie. La notion de tact est particulièrement rattachée à la maîtrise de la main sur les rênes. C’est bien l’idée de capacité tactile qui prédomine à cette époque :
« Le tact nécessaire pour bien sentir l'effet distinct des deux rênes, ne peut s'acquérir que par la pratique, et en se rendant bien compte, chaque fois que l'on opère de la main, du résultat de son action lorsqu'on veut augmenter ou diminuer son effet, par le mouvement de direction que l'on donne aux doigts, à la main et aux poignets, on arrive plus facilement à obtenir ce qu'on appelle une bonne main. Il faut aussi bien se pénétrer que la main pour être juste doit toujours être moelleuse et assurée, et indiquer avec douceur au cheval la volonté du cavalier dans tous les mouvemen[t]s qu'il veut lui faire exécuter. Car, si l’on employait de la force, la douleur que l’action de la main produirait sur la bouche du cheval, devenant pour lui une correction des plus déplacées, il en prendrait de l’humeur et chercherait à s’y soustraire par tous les moyens qu’il pourrait saisir. »
Traité raisonné d’équitation en harmonie avec l’ordonnance de cavalerie, 1824, pp. 96-97
« Le tact équestre consiste, en résumé, à choisir, par la réflexion, les aides déterminantes et les aides régulatrices, à répartir entre elles la part d’action, de résistance ou de passivité qui revient à chacune et enfin, par la volonté, à faire intervenir l’effort au point voulu et au moment voulu, en tenant compte des foyers de résistance que constituent la bouche, les épaules et les hanches.
Le cavalier doit redoubler de sincérité envers lui-même et s’ériger en propre juge de ses actions, s’il veut accomplir des progrès. C’est la pratique, étayée sur de bons principes, qui doit être son véritable maître. »
L’équitation, PUF : Que sais-je ?, 1974, p. 85
« Les nouveaux maîtres de la formation équestre ont voulu réformer le vocabulaire technique, bannissant de leur glossaire des termes pourtant éprouvés par des générations d’écuyers reconnus. Il en est ainsi du tact équestre que le général L’Hotte entendait comme ‘‘l’à-propos joint à la mesure’’
Cette double exigence d’opportunité et de dosage conditionne l’accord des aides et plus généralement, toutes les relations de l’homme à son cheval.
[…]
Le tact gouverne aussi l’organisation et la conduite du travail qui, pour rester une gymnastique salutaire, ne doit être ni usant ni expéditif. »
Cette double exigence d’opportunité et de dosage conditionne l’accord des aides et plus généralement, toutes les relations de l’homme à son cheval.
[…]
Le tact gouverne aussi l’organisation et la conduite du travail qui, pour rester une gymnastique salutaire, ne doit être ni usant ni expéditif. »
L’équitation française, Actes sud, 2008, p. 122
Pour aller plus loin :
- Vital Lepouriel, Procédés pour développer le tact équestre, Vigot, 2005.
- Marion Scali, Baucher : le tact, la recherche et l'orgueil, Belin, 2002.
Les ouvrages mentionnés :
- Henri Aublet, L’équitation, PUF : Que sais-je ?, 1974 (4e éd.)- Jean-Baptiste Cordier, Traité raisonné d’équitation en harmonie avec l’ordonnance de cavalerie, 1824. Disponible en ligne sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6535043j/f105.item
- Général Pierre Durand, L’équitation française : mon choix de cœur et de raison, Actes sud, 2008.
Image en Une : Ecuyer et sauteur du Cadre noir © Alain Laurioux / IFCE